Ça y est ! Gigondas est blanchi ! Sans tâche ! L’Immaculée Conception, enfin ! Les vignerons ne vivent plus dans le péché : l’AOP Gigondas blanc est née !
Et c’est un miracle quand on connaît le chemin à parcourir vers la sacro-sainte reconnaissance des dieux de l’INAO ! Après un premier refus en 1954 qui oblige les vignerons à se « replier » en Côtes-du-Rhône blanc, une nouvelle tentative est lancée en 2011 pour finalement aboutir en 2024, avec pour premier millésime officiellement reconnu la vendange 2023. Plus de dix ans pour avoir le droit d’inscrire Gigondas sur les bouteilles de blanc ! Et il ne faut rien oublier dans le cahier des charges ! Comme il ne faut pas trop en mettre non plus ! Il faut savoir où on va, car une fois entériné, ce « CDC » devient les tables de Moïse de l’appellation Gigondas blanc pour l’éternité (ou presque).
Autant dire que l’expérience du vignoble compte, tout comme l’ambition des acteurs qui s’engagent dans cette production, vignerons et négociants réunis. Sur ce point, on peut dire que Gigondas a tapé juste. En 2018, suivant des essais de vinification en blanc encourageants, l’ODG (Organisme de Défense et de Gestion) de Gigondas propose une modification du sacro-saint cahier des charges pour la production de vins blancs : la Clairette blanche comme cépage principal (70 % minimum), vinifié seul ou en assemblage avec les variétés traditionnelles de la Vallée du Rhône présentes à Gigondas (Bourboulenc blanc, Clairette rose, Grenache blanc et gris, Marsanne blanche, Piquepoul blanc ou encore Roussanne). Et enfin, deux cépages accessoires, le Viognier et l’Ugni blanc ne pouvant dépasser 5 % de l’encépagement. Disons-le, c’est finement arbitré : entre une contrainte louable (la magnifique Clairette) et une liberté bien pardonnable (les cépages « traditionnels »), l’espace d’expression est suffisamment cadré pour stimuler la créativité des vignerons. Citons Paul Valery : « l'alexandrin est le choc de la volonté et du sentiment contre l'insensible des conventions. ». Gigondas, à l’image d’un poème, a trouvé son alexandrin et il s’appelle Clairette, nous y reviendrons.
Il ne vous aura pas échappé que les « variétés [blanches] traditionnelles de Gigondas » étaient déjà en culture avant 2023. Si la plupart des parcelles de cépages blancs ont été arrachées au profit des cépages rouges à l’obtention de l’AOP Gigondas en rouge et en rosé en 1971, plusieurs domaines ont continué à vinifier des blancs à Gigondas en les « déclassant » (quel vilain mot !) en AOP Côtes-du-Rhône. En conséquence de quoi, 16 hectares sur 1200 ha sont aujourd’hui cultivés en blanc par une trentaine d’opérateurs sur les 110 de l’appellation, soit un volume supérieur au Gigondas rosé (chiffres CVI, campagne 2019/2020). Ajoutez à cela une dizaine de producteurs prêts à planter des cépages blancs dans les années à venir et vous avez 15 % des opérateurs qui vinifieront des Gigondas blancs d’ici moins de cinq ans. Une belle dynamique déjà en ordre de marche.
Côté terroir, l’intégralité du vignoble de Gigondas est située sur la commune. Fait suffisamment rare pour être mentionné et qui a pour conséquence de tirer directement bénéfice de la Font des Papes, un petit ruisseau dont la source est située dans les hauts reliefs des Dentelles de Montmirail. Ce dernier a contribué à étaler à l’ouest du village un cône de déjection très surbaissé, formé de débris calcaires, de marnes et de sables souvent plus importants. Fort de cette mosaïque géologique dont le calcaire est le trait d’union, le vignoble de Gigondas façonne des vins toujours longilignes et aiguisés que l’on se plaît à comparer au cisèlement caractéristique des Dentelles. Ajoutons à cela une exposition majoritairement Ouest/Nord-Ouest qui donne une parfaite aération du vignoble et limite les chaleurs excessives de l’été et vous avez les conditions idéales pour des vins blancs frais, fins et parfumés, dotés d’un excellent potentiel de garde. Ça, c’est la théorie. Maintenant, place à la pratique.
À l’occasion d’une dégustation organisée par l’ODG, nous avons pu découvrir et apprécier le tout premier millésime officiel de Gigondas blancs 2023. Une petite vingtaine d’échantillons était présentée. Un chiffre non négligeable pour un lancement, ce qui nous a permis de nous forger une opinion solide sur la qualité des vins et la diversité des styles. Disons-le tout net : c’est une réussite. Les vignerons ont su tirer le meilleur de la Clairette, en jouant avec la vinification, les élevages et l’assemblage pour donner des vins dans l’air du temps. Si l’on se risque à une comparaison avec les autres vins à base de Clairette produits dans la vallée du Rhône, Gigondas blanc semble bénéficier d’un rapport concentration/fraîcheur mieux ajusté et d’un alcool mieux intégré. Côté saveurs, l’amertume caractéristique de la Clairette se fait discrète au profit d’une salinité plus franche qu’ailleurs. Enfin, côté parfums, l’anis et le poivre blanc s’associent ici à des notes plus fraîches de menthol et de fleurs qui entérinent le profil singulier de ces vins. Bien évidemment, il s’agit d’une première impression qu’il faudra valider sur plusieurs années, mais il est bien difficile de cacher son enthousiasme à l’issue de cette première dégustation ! Dernier élément et non des moindres : l’âge des vignes. Certains domaines ont cette chance de « commencer » avec un vignoble âgé, ce qui compte tout particulièrement pour la Clairette et son adaptation aux évolutions climatiques. Allez, place aux résultats. Bonne découverte.
Olivier Borneuf
Domaine de la Souchière - Clairette - Brut de cuve
Nez pâtissier, assez discret. Attaque onctueuse, légère, évoluant sur un fond épicé (fenouil. Finale nette, légèrement acidulée. Bon vin. 89
Domaine le Clos des Cazaux – Clairette - Brut de cuve
Nez concentré, sur le citron confit, une pointe biscuitée, puis l'anis blanc. Attaque dense et fine à la fois, très nette, évoluant sur les agrumes. Finale suave, bien acidulée, assez longue et joliment beurrée. Superbe potentiel. 94-95
Domaine Santa Duc - Clos des Hospices - Clairette, Bourboulenc - Brut de cuve
Élevage évoquant le girofle et le laurier, assez appuyé. Bouche précise, aiguisée, citronnée, fidèle au domaine, avec une finale explosive, concentrée et persistante, revenant aujourd'hui sur l'empyreumatique du bois. À redéguster après la mise pour se faire une idée plus précise. 91-92
Château de Saint Cosme - Le Poste – Clairette - Brut de cuve
Joli nez mûr, très précis, évoquant la frangipane, la pêche blanche, le citron, le mimosa. Attaque précise, légèrement crémée, très équilibrée, très nette, pulpeuse. Finale juteuse, délicate, rafraîchissante. Plaisant et élégant à la fois. 92
Château de Saint Cosme - Hominis Fides – Clairette - Brut de cuve
Fin, épicé, mimosa, anis. Bouche ample et aérienne, en finesse, très "Clairette. Finale pleine d'éclat, pure, revenant sur le poivre blanc. Beau vin. 94
Domaine du Pesquier - Clairette, Piquepoul
Un brin fermentaire, sur la guimauve, évoluant en souplesse, dans un style friand, pour revenir sur l'anis dans une finale simple et déliée. À l'apéritif. 88
Domaine du Terme – Clairette
Fleurs, anis et poivre blanc en introduction d'une bouche précise et dynamique, un brin serrée, mais suffisamment structurée pour évoluer favorablement. Bon vin. 91
Domaine Les Teyssonnières – Clairette
Nez hésitant entre le citron et la pêche de vigne, bouche souple et délicate, finale déliée et légèrement pâtissière. C'est agréable 88
Domaine Saint-Damien - Clairette
Bouquet consistant, avec un léger boisé fumé, évoquant le citron, la pêche de vigne et l'anis. Bouche fine, consistante, très fraîche, persistant sur le poivre et une salinité stimulante. Joli vin à redéguster pour suivre l'intégration de l'élevage. 91-92
Pierre Amadieu - Romane Machotte - Clairette, Marsanne, Rouissanne, Viognier
Des parfums équilibrés entre anis, citron et pêche. En bouche, c'est consistant, bien élevé, jouant avec le viognier pour gagner en gourmandise dans une finale anisée et poivrée. Le bon rapport qualité prix par excellence. 91
Pierre Amadieu - Grand Romane - Clairette
Boisé discret, les épices et la fleur d'anis en introduction d'une bouche dense et crémeuse qui s'étire sur les odeurs senties et une pointe saline prometteuse. Joli vin, bon potentiel. 92
La Mas des Flauzières - La Quintessence - Clairette, Roussanne
Joli vin, cette fois porté par la roussanne : l'ananas, la pêche et le pralin animent une matière ample, onctueuse, presque riche, qui évolue en fraîcheur et suavité jusqu'en finale. "Atypique" ? À suivre... 92