La valeur de la critique

Depuis 3 années, La Tulipe Rouge déguste les vins français avec la même indépendance et le même professionnalisme qui l’animent depuis son lancement. Des valeurs qui séduisent de plus en plus le vignoble si l’on s’en réfère au nombre d’échantillons présentés au palmarès 2024. Un succès dont nous sommes fiers, au point de passer pour prétentieux, voir donneurs de leçon pour certains ! Que nos sélections soient discutables, oui ! Vive le pluralisme (mais certainement pas le relativisme). Que la façon dont celles-ci sont établies soit critiquable, non ! En cela, aucune vanité, mais la fierté de tenir bon dans un univers médiatique à déontologie variable qui n’a pourtant qu’une chose à faire : garantir l’indépendance du jugement et le professionnalisme de ceux qui l’établissent. Malheureusement, quand on commence à gratter, il ne reste plus beaucoup de monde sur l’estrade. Grattez un peu vous aussi, vous verrez. Il faut comprendre que la critique, ce n’est pas de la communication. Elle n’a pas de « prix ». Elle peut en faire partie, mais elle n’est pas de la com’ en tant que telle. Elle possède ses propres règles, ses propres modalités d’exécution qui très souvent l’opposent à celles employées dans la communication proprement dite. C’est ce qui fait sa toute-puissance au sein d’une communication ! Si elle perd ses valeurs, si elle perd sa valeur, elle devient une simple com’, qui comme toutes les com’, a un prix.
Pour qu’une critique ait de la valeur, il faut qu’elle soit irréprochable. Et pour qu’elle soit irréprochable, il faut qu’elle soit professionnelle et indépendante, j’y reviendrai. Que vous soyez d’accord ou pas avec elle, ce qui compte, c’est qu’elle ait de la valeur. Et je ne parle pas de valeur pécuniaire ! Eh non ! Sinon, retour à la case départ ! C’est difficile d’imaginer une valeur autrement qu’à travers le prisme de l’argent n’est-ce pas ? D’ailleurs, pour les intéressés, une bonne note de critique, c’est avant tout pour gagner de l’argent : le vigneron en vendant mieux son vin et l’amateur en achetant mieux ses bouteilles. C’est donc que la critique, en toute fin d’analyse, est créatrice de valeur pécuniaire non ? Eh bien, non. Ce n’est pas elle qui augmente le prix de vente de la bouteille ou le panier moyen d’achats. C’est le producteur ou l’amateur. Pour preuve : un vin trois fois plus cher qu’un autre vin de la même région, avec strictement la même note de critique, ne se vend pas forcément moins bien que celui vendu moins cher. Alors, de deux choses l’une : soit la critique n’est pas créatrice de valeur au sens pécuniaire du terme. Dans ce cas, à quoi sert-elle ? Soit elle repose sur des leviers autres que la critique elle-même. Dans ce cas, ce n’est plus de la critique, mais du « réseautage », de la communication, du merchandising, etc. Appelez ça comme vous voulez. Intéressons-nous donc au rôle de la critique, à sa valeur, dans une époque où justement il y a une crise des valeurs, et en particulier une crise de la valeur "argent". 
Il n’a échappé à personne que ces derniers temps la décorrélation entre le prix d’une bouteille et ses qualités « objectivables » s’est amplifiée à l’extrême. L’arbitraire n’y règne pas pour autant, loin de là. Le marché du vin, comme le marché de l’art ou de la mode, sait donner la primauté à des critères symboliques (rareté, célébrité, nouveauté, authenticité, historicité, éthique, etc.) sur les critères plus objectifs de la critique (millésime, défauts, travail, élevage, style, objectif de consommation, etc.) ; sans que ces derniers la définissent dans sa totalité. Que l’on croit à la thèse de l’offre et de la demande, ou bien qu’on adhère à la thèse plus probante d’un mimétisme comportemental inspiré par René Girard*, disant qu’un produit attire parce qu’il est désiré par autrui, le fait est que la construction du prix d’une bouteille ne repose pas sur l’unique critique qui aurait sanctionné le vin d’une note propice à l’augmentation de sa valeur pécuniaire. Au contraire : la critique rationalise. Elle argumente en faveur d’une qualité sans s’intéresser au prix. Ce n’est pas son affaire, si j’ose dire. L’erreur est d’ailleurs fréquente chez les critiques, La Tulipe Rouge y compris, de mentionner à bon escient l’excellent rapport qualité prix d’une bouteille… Certes, mais en faveur de qui ? Du producteur qui peine à augmenter ses prix de 0,10 € ou bien du consommateur qui cherche toujours moins cher ? Et que faire du néo-vigneron endetté jusqu’au cou qui n’a d’autres choix que d’être le plus cher de sa région ? La critique rationalise en cela qu’elle permet de justifier un « minimum » de qualité objective, parfois à la faveur d’un vin bon marché, souvent pour adoucir quelques prix ambitieux. Ce pouvoir cathartique de la critique, une partie du vignoble et des médias l’a bien compris. Comment justifier un prix déraisonnable ou une qualité discutable sinon en trouvant la bénédiction d’une critique autoproclamée, encline à noter généreusement un vin pour satisfaire les besoins de son « client » ? Business is business non ? Certes, mais dans ce cas, c’est de la com’, plus de la critique, nous l’avons déjà dit. Rien de mal à ça, si ce n’est quelques effets de bord…
Quand l’argent va, tout va. Les vins se vendent, avec ou sans notes, et tout va pour le mieux. Les critiques de perlimpinpin font illusion et tout le monde est content. Mais quand l’argent connaît lui-même une crise de valeur, plus rien ne va. Doté d’un double sens, à la fois de mesure, en tant qu’unité de compte, et de morale, comme « bien » à atteindre sur le plan moral, l’argent n’opère plus comme valeur mais comme «  un valoir figé en substance, [un] valoir des choses sans les choses elles-mêmes » nous dit Georg Simmel dans Philosophie de l’argent (1907). Qu’est-ce à dire ? Que le vin privé de sa valeur pécuniaire n’a pas plus de valeur ! Et que la critique devenue communication est inefficace pour garantir un « minimum » de qualité objective, puisqu’elle est devenue à son tour un produit pécuniaire, donc sans valeur. 
Quand tout part à vau-l’eau, on a tendance à revenir sur des choses que l’on connaît bien, que l’on a déjà expérimentées. On ne tente pas le diable et on prend le temps de réfléchir. Le bon vin n’est pas forcément le moins cher. Tout dépend de sa qualité… Que l’on cherche à évaluer du mieux possible… Le bouche-à-oreille faisant souvent l’affaire… La critique aussi, pour garantir un « minimum » qualité... À la condition qu’elle soit indépendante et professionnelle… Sans quoi elle n’a aucune valeur… Surtout en temps de crise. 
D’aucuns diront que cela ne suffit pas ou que ces subtilités déontologiques n’intéressent personne. C’est le contraire. Il y a un vrai intérêt pour une démarche transparente et déontologique. La Tulipe Rouge en est la preuve. Si la critique perd du terrain, c’est qu’elle n’est plus respectée. Si les vignerons hésitent à présenter des échantillons, c’est qu’ils doutent de sa finalité. Enfin, si l’amateur lui accorde de moins en moins d’intérêt, c’est parce qu’il n’y voit plus un conseil fiable. À La Tulipe Rouge, les vignerons ne sont pas des clients. Nous sommes totalement indépendants dans l’exercice de la critique de vin. Et notre professionnalisme, c’est nos CV, notre expérience et la confiance du vignoble chaque année renouvelée.  D’ailleurs, à partir de 2025, nous allons augmenter le volume de nos dégustations. Là où certains médias « optimisent », La Tulipe Rouge déguste toujours plus de vins. Nous vous donnerons plus de détails dans les prochaines newsletters. 
Les vins dégustés et sélectionnés en 2024 sont accessibles en ligne sur www.tulipe-rouge.com. Quel que soit votre budget, ces vins valent vraiment le coup de finir sur vos tables. Certes, il y en a beaucoup. Alors, on a décidé d’en sortir quelques-uns, sous forme de coups de cœur. On les aime tous évidemment, mais certains plus que d’autres… Bonne lecture.

Olivier Borneuf

*René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris, Grasset, 1977