Pour les 50 ans de l’appellation Fronton, nous avons décidé de revenir sur ce vignoble discret à fort potentiel. Bonne découverte.
L’histoire
La présence de la vigne à Fronton est attestée depuis l’époque romaine, mais c’est au XIIᵉ siècle que l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (futur Ordre de Malte) fonde la ville de Fronton et développe le vignoble. Une légende raconte que la Négrette, cépage emblématique de Fronton, aurait été rapportée de Chypre par les Hospitaliers à leur retour des croisades.
Cependant, la science a aujourd’hui tranché. Cette histoire n’est qu’une légende. La Négrette possède bel et bien des origines locales, sur les rives du Tarn. Les analyses ADN ont d’ailleurs mis en évidence des liens de parenté avec le Malbec et le Prunelard, tous issus de la famille des cotoïdes.

La Négrette
La Négrette est le cépage emblématique de Fronton. Autrefois répandue dans toute la vallée du Tarn, de Gaillac à Montauban, la Négrette ne subsiste aujourd’hui quasiment qu’à Fronton. Elle doit être majoritaire dans l’assemblage des vins rouges et rosés de l’appellation. Ses grappes, généralement petites, compactes et ailées, portent des baies de taille modérée, à la peau d’un noir bleuté et à la chair très pulpeuse. La Négrette est particulièrement riche en anthocyanes, ces pigments antioxydants présents dans la peau. C’est un cépage, capricieux et sensible à la pourriture, supportant mal les rendements élevés. Il exige donc une attention constante et des soins minutieux. Sur le plan aromatique, la Négrette oscille selon les millésimes entre fruits rouges et fruits noirs (mûre, cassis) et des notes poivrées. La finale, elle, est souvent marquée par la réglisse. L’arôme de violette, si caractéristique dans la jeunesse des vins, provient d’une molécule appelée béta-ionone, et se trouve à des concentrations particulièrement élevées dans les vins de Fronton.

L’appellation
L’AOC Fronton, obtenue en 1975 après avoir été divisée en deux VDQS (Vin Délimité de Qualité Supérieure) Fronton et Villaudric, impose une majorité de Négrette dans l’encépagement, ainsi qu’un assemblage obligatoire. Historiquement, les Cabernets étaient largement utilisés aux côtés de la Négrette. L’association Négrette-Syrah, aujourd’hui très répandue, est en réalité assez récente.
Il a fallu attendre les années 2010 pour que les cuvées 100 % Négrette soient autorisées à la commercialisation, devenant aujourd’hui les porte-étendards de l’appellation.
Actuellement, huit cépages sont autorisés en complément de la Négrette : Syrah, Gamay, Côt (Malbec), Cabernet Sauvignon, Cabernet Franc, Fer Servadou (Braucol)

Du vin fruité au vin de garde
La Négrette est parfaitement adaptée à la production de vins à déguster sur le fruit, dans la jeunesse. Cependant, certaines cuvées, issues de sélections parcellaires et élevées quelques mois (en barriques ou autres contenants), sont conçues pour la garde.
C’est en particulier le cas des cuvées du Collectif Négrette ou encore de cuvées emblématiques chez certains domaines bien connus des amateurs, comme le domaine Le Roc de la famille Ribes ou encore le Domaine Plaisance Penavayre de Marc et Thibaut Penavayre.
Le Collectif Négrette regroupe une douzaine de vignerons et vigneronnes de l’appellation Fronton engagés dans une démarche ambitieuse de recherche et de progrès pour élaborer des vins rouges haut de gamme. Après de nombreuses rencontres, ils ont adopté un cahier des charges à la hauteur des ambitions du collectif et de révéler le plein potentiel du cépage phare.

Le Bouysselet, l’arme blanche des frontonnais
Parmi les cépages blancs cultivés à Fronton, seul le Bouysselet blanc revendique une origine véritablement locale. Redécouvert il y a une douzaine d’années par Diane et Philippe Cauvin du domaine de la Colombière, il avait quasiment disparu, à l’exception de quelques pieds conservés par la famille Brousse à Villaudric. Des études génétiques réalisées à Montpellier ont montré qu’il serait issu d’un croisement du Savagnin et du Plant de Cauzette. Il a été officiellement enregistré au Catalogue des variétés de vigne depuis 2016 sur la liste A, après plusieurs années de démarches. Aujourd’hui, une dizaine d’hectares sont plantés et cinq domaines proposent des cuvées issues de ce cépage. Le Bouysselet est un cépage relativement "rustique", peu sensible au mildiou et à la pourriture grise. Les baies sont de taille moyenne, à saveur simple, avec une pellicule épaisse et pruinée. Sa phénologie est intéressante, avec un débourrement 9 jours après le Chasselas, et une maturité 3 semaines après le Chasselas*.
Le Bouysselet, qui présente des liens de parenté avec le Savagnin du Jura, produit des vins blancs dotés d’une excellente acidité, même à maturité poussée. Lorsque celle-ci est optimale, les vins développent des arômes de poire, de pomme, de mirabelle, de tilleul et de pierre à fusil, l’ensemble souvent dominé par des notes citronnées et amères dans l’air du temps. La finale est fraîche, tonique et persistante, ce qui ouvre de belles perspectives gastronomiques allant, selon le style et la maturité, de la volaille en sauce aux fromages affinés, en passant évidemment par les poissons.

Bouysselet du domaine La Colombière (domainelacolombiere.com)
Le terroir de Fronton
Le vignoble de Fronton est situé entre la Garonne et le Tarn. Mais l’appellation s’étend sur trois anciennes terrasses du Tarn, sur sa rive gauche. La plus ancienne, la plus haute (environ 200 mètres d’altitude), est la plus éloignée et la plus graveleuse. À l’inverse, la terrasse inférieure, plus proche du Tarn, est riche en boulbènes sablonneuses (un mélange de galets, de graviers, de sables et de limons).
Les vignerons de Fronton mènent actuellement une vaste étude scientifique pour mieux caractériser ces terroirs, avec la définition d’une vingtaine d’unités distinctes, afin d’adapter leurs pratiques aux sols et aux évolutions climatiques.
Le climat de Fronton n’est pas exclusivement méditerranéen : il bénéficie d’une influence tempérée, mêlant influences océaniques et Méditerranéennes, avec un ensoleillement important (plus de 2 000 heures par an) et des pluies faibles et irrégulières. Le vent d’Autan, notamment en automne, assainit le vignoble et favorise une bonne maturité des raisins.

Une appellation qui rayonne est une appellation qui attire
Il y a environ six ans, Maxime Touzet reprenait le Château La Loge, tandis que sa voisine, Marie Couderc, redonnait vie au Château des Peyraux. Depuis, ces néo-vignerons ont été rejoints par d’autres, insufflant une belle dynamique à Fronton. Morgane Jouan et Nicolas Baudet ont donné un nouvel élan au Château Terre Fauve, Antoine Rouiller a créé le Domaine de La Valette, et Nicholas Smith, ancien batteur devenu winemaker, apporte une touche britannique à la Négrette au sein de son domaine Bois de Devès. Que bonheur de voir enfin le domaine de Belaygues en pleine forme. Aujourd’hui, près de 40 % des domaines sont en bio ou en conversion. Fronton est ainsi le vignoble du Sud-Ouest qui s’engage le plus dans la transition écologique.

En résumé
Les points forts
La Négrette : elle imprime sa signature, quel que soit le style de vin. Relativement identifiable, elle est un argument convaincant pour découvrir le vin de Fronton et un marqueur rassurant lorsqu’il s’agit de parfaire ses connaissances de la région.
Un cépage protéiforme : Rosé, bulles, rouge fruité, rouge de garde, vin muté, etc. La négrette est attractive, quel que soit le profil de vin. Un atout de taille dans un contexte de consommation « zaping »…
Un petit vignoble : la taille de l’appellation est inversement proportionnelle à sa capacité d’adaptation. Un atout majeur dans un contexte de changements brutaux.
Un millefeuille générationnel de passionnés : Le vignoble attire de nouvelles générations de passionnés parce qu’il est – encore – porté par ses bâtisseurs historiques à l’engagement intact. C’est un fait majeur. Beaucoup de domaines en France sont le fait d’une succession de générations par tradition, plus que par passion…
Un vignoble trop peu connu : ce qui signifie des prix doux et un enthousiasme contagieux !
Le Bouysselet : quel cépage ! La future pépite de Fronton ? Ce cépage blanc arrive à point nommé pour la région et le marché.
Les points faibles
La Négrette : c’est un cépage à découvrir, donc méconnu – à tort ! Sa faible représentation, en partie liée à son petit vignoble principal (Fronton) peut-être un challenge pour développer sa réputation.
Le réchauffement climatique : quel avenir pour le vignoble frontonnais ? Le Bouysselet est une hypothèse sérieuse, tandis que le potentiel vignoble n’est pas pleinement exploité… Affaire à suivre.
La reconnaissance d’un fronton blanc : aujourd’hui, le Bouysselet n’est pas accepté en AOC Fronton (qui ne produit que du vin rouge). C’est une faiblesse en termes d’image et d’investissement, en partie liée à la lenteur du système administratif.
La taille du vignoble : à rester trop petit, on finit par disparaître ? Peut-être pas. À l’heure du numérique, on peut bénéficier d’un espace médiatique conséquent. Néanmoins, le marché a besoin de vin. 1200 ha aujourd’hui, ce n’est pas assez pour convertir le monde à la Négrette. Heureusement, il reste des hectares à planter.
La dégustation
Beaucoup de bons vins, quelques excellentes bouteilles, dans les trois couleurs, souvent à prix très doux : les vins de Fronton ont beaucoup d’arguments pour convaincre l’amateur ou le professionnel le plus exigeant. D’un point de vue technique, les vins sont majoritairement francs, à l’exception d’un nombre mineur de cuvées phénolées (ie contaminées accidentellement par Brettanomyces). En somme, une dégustation enthousiasmante, qui donne envie de suivre la région et, surtout, de boire du vin de Fronton !
Notre sélection est à découvrir ICI
Lire l'excellente lettre ouverte des vignerons de Fronton
* Les stades phénologiques indiqués résultent d’observations réalisées au Domaine de Vassal où l’ensemble de ces variétés sont rassemblées en collection. Les résultats sont exprimés par rapport au cépage de référence le Chasselas B afin de pouvoir établir des comparaisons entre années et entre sites. À titre indicatif, les dates des stades phénologiques du Chasselas B au Domaine de Vassal sont les suivantes : date de débourrement le 21 mars (moyenne sur 50 ans) et date de maturité le 14 août (moyenne sur 50 ans).