100 ans de Châteauneuf : 7 questions à Michel Blanc

Michel Blanc - Directeur de la fédération des syndicats de producteurs de Châteauneuf-du-Pape
Michel Blanc - Directeur de la fédération des syndicats de producteurs de Châteauneuf-du-Pape

La Tulipe Rouge - Que fête-t-on précisément ?

Michel Blanc - On va fêter un peu en avance, puisque la date réelle c’est le 4 octobre, les 100 ans de la création du syndicat des vignerons, fondé en 1923 par un groupe de vignerons, dont Messieurs Avril et Armenier (dont les descendants sont toujours vignerons dans l’appellation), emmené par le Baron Pierre Leroy de Boiseaumarie qui par mariage était à la tête du château Fortia. Il a été à l’origine des AOC sur la base de la loi de 1919 qui ne satisfaisait pas les vignerons de Châteauneuf-du Pape parce que selon eux, la délimitation judiciaire de l’appellation était une condition nécessaire mais pas suffisante pour protéger le nom. C’est au sein du syndicat qu’est née l’idée moderne d’AOC, c’est-à-dire une délimitation territoriale et des conditions de production. Ça a débouché sur la création de l’INAO et des premières appellations en 1936, dont Châteauneuf-du-Pape.  Au-delà des 100 ans, date symbolique, c’est tout cela que l’on célèbre.  

LTR - Châteauneuf-du Pape semble bénéficier d’un cahier des charges plus souple que d’autres, en particulier sur l’encépagement.

MB - Oui et non, il est à la fois plus libéral et plus restrictif. Sur bien des points, il est plus strict. Par exemple, c’est Châteauneuf-du-Pape qui a introduit la notion de taux maximal de pieds manquants à la parcelle au début des années 1990, reprise depuis dans tous les vignobles. Sur quelques autres il est plus souple. Sur l’intensité colorante des vins rouges par exemple qui est liée à la grande liberté que l’on a acquise en matière d’encépagements. Quand on est passé du système « décret d’appellation » à « cahier des charges » à la fin des années 2000, l’INAO nous a demandé, comme à toutes les AOC, de définir des cépages minoritaires et majoritaires avec des maximums et des minimums en % d’assemblage. Ce que, à l’unanimité, les vignerons de l’appellation ont refusé catégoriquement. Les vignerons n’ont pas cédé et l’INAO a entendu nos arguments. C’est comme ça depuis 1936, il n’y a jamais eu d’abus et donc aucune raison de le réglementer.

LTR - C’est une liberté importante ?

MB - C’est le moyen pour chacun d’exprimer ce qu’il veut exprimer de Châteauneuf-du-Pape et participer à la diversité des styles de l’appellation qui fait aujourd’hui sa grande richesse. Ça permet d’introduire de la souplesse, adapter cépages et porte-greffes aux types de sols et expositions, de tenir compte du changement climatique et aussi, il ne faut pas le nier, de l’évolution du goût des consommateurs. Dans 20 ans, l’encépagement sera différent de celui d’aujourd’hui, comme celui d’aujourd’hui n’est plus celui des années 50 ou de la période préphylloxérique. C’est un encépagement en mouvement qui ne suit pas les modes mais les contraintes d’une époque. D’autres nous envient cette liberté, mais on s’est battu pour ça.

LTR - Et une liberté que l’on entretient ?

MB - Bien sûr, c’est précieux, c’est une richesse. On travaille depuis 4 ans à un conservatoire des cépages en recensant et en identifiant sur les plus vieilles parcelles les variétés anciennes. On les étudie du point de vue sanitaire et qualitatif pour demain mettre en culture les plus intéressantes et proposer aux vignerons de les replanter. Cette possibilité de replanter autant qu’on veut des vacarèse, counoise, cinsault et muscardin, ça fait partie de ce combat que l’on a mené pour avoir toute liberté sur l’encépagement. De manière plus générale, la biodiversité est vraiment un chantier majeur pour nous, qui est partagé par toute la production, y compris le négoce. On a un gros pourcentage en bio, ou en conversion, beaucoup d’autres ne sont pas labellisés mais travaillent dans cet esprit, sans produits chimiques de synthèse. On travaille par ailleurs, grâce à une idée des jeunes vignerons à la plantation dans le vignoble de 42 km de haies. La préservation de la biodiversité passe aussi par la défense de notre colline de Châteauneuf-du-Pape qui est située sur un axe stratégique et qui fait rêver les « aménageurs » du territoire.

LTR - L’AOC est parfois perçue comme un carcan lent à se desserrer, à Châteauneuf elle semble plutôt être moteur.  

MB - Je crois que c’est un outil qui peut être moderne. D’ailleurs, on ne parle pas de « cahier des charges » mais plutôt, pour reprendre une expression chère à nos amis du Comté avec lesquels on collabore, de « cahier des chances ». Parce qu’il permet aux vignerons d’exprimer au mieux ce qu’ils ont à dire à travers l’encépagement et les terroirs. Un nouveau chantier est le devenir du vin blanc à Châteauneuf. Collectivement on se dit que ce serait bien de monter un peu le pourcentage de cépages blancs. Pour produire un peu plus de vins blancs mais aussi, puisque le cahier des charges nous autorise à co-fermenter (cépages rouges et cépages blancs), pour amener dans nos rouges plus d’acidité naturelle, de fruit, ce côté aérien que chercheront peut-être les amateurs demain.

LTR - Châteauneuf, c’est à la fois un nom installé, prestigieux, avec une vieille histoire, et une AOC dynamique et moderne. Qu'est-ce qu'apporte le syndicat dans cette modernité ?

MB - C’est surtout une affaire de collectif, c’est-à-dire le syndicat, l’ODG, les jeunes vignerons, aussi le rôle des femmes qui ont plus souvent que les hommes présidé l’ODG. On a aussi acquis assez tôt une autonomie qui nous donne une liberté et de pensée et d’action. Châteauneuf a aussi eu dans le passé une histoire syndicale compliquée mais tout cela est digéré et dernière nous ; on dispose d’un gros collectif qui fonctionne bien. Tout le monde tire aujourd’hui dans le même sens et c’est une force.

LTR - Qu’est-ce que l’on peut souhaiter pour Châteauneuf dans les 50 prochaines années ?

MB - Que ça demeure en l’état, un poumon vert au milieu de la basse vallée du Rhône, avec toujours cette belle pluralité de cépages et de styles de vins. On aimerait que les consommateurs français renouent avec Châteauneuf, le marché national ne représente que 25% à 30% de nos ventes. On dit souvent que le Châteauneuf-du-Pape est traditionnellement le vin « des fêtes carillonnées », c’est-à-dire réservé à quelques occasions dans l’année. Nous tous sommes persuadés qu’il a vocation à être de toutes les fêtes et moments sympathiques. On a la chance avec le grenache d’avoir des vins accessibles et très polyvalents que l’on peut ouvrir jeunes avec un petit carafage ou oublier en cave. Il y a peu d’appellations où l’on peut boire un grand millésime quasiment au bout d’un an, mais aussi 10, 15, 30 ans plus tard. C’est un vin qui s’inscrit dans la modernité des usages de consommation.

Et puis espérer accueillir davantage les gens sur le territoire en développant un tourisme durable. On est située au cœur de la « via Rhôna » qui relie Genève à Sète, et peut-être demain l’Espagne et l’Italie par un réseau de voies vertes. On pourra faire du tourisme à vélo partout dans le Vaucluse ou du tourisme fluvial. On a la chance d’avoir dans la région des monuments classés à l’UNESCO, des environnements préservés, le fleuve, donc beaucoup de clés d’entrée pour développer un tourisme vert et respectueux, et attirer un public pas nécessairement amateur.