Une histoire singulière
Nous sommes en 1816. Autour d’une table de jeu, l’évêque de Perpignan affronte un ingénieur des Ponts et Chaussées, Raymond Etienne Amiel. L’homme d’Église met alors en jeu l’une de ses terres, le domaine des Goudous, qu’il finit par perdre : le domaine change de mains et devient la propriété du bien nommé Amiel. Histoire vraie. La propriété compte alors 10 hectares de vigne en pleine garrigue.
Fin du siècle, le phylloxera vastatrix détruit la quasi-intégralité du vignoble français. Camille Gouzy, alors négociant vigneron à Millas, s’associe au fils Amiel et propose aux vignerons de la vallée de l’Agly de reconstituer leurs vignes en adoptant les espèces de vignes américaines. Il construit sur le Mas une cave d’une vingtaine de foudres. Sa réputation franchit les frontières et, quand le Portugal est à son tour frappé par le phylloxéra, Camille Gouzy est invité à replanter le vignoble dans la vallée du Douro.
En 1907, suite à quelques erreurs de gestion, le Mas Amiel est repris par le banquier Charles Dupuy qui en assurera le développement jusqu’à sa mort. En 1916, son fils Jean prend la suite à son retour de la guerre. C’est ce dernier qui développera et produira un vin doux naturel sous la marque Mas Amiel (photo ci-après). Son fils Charles assurera la continuité de cette politique d’expansion jusqu’en 1997, date de sa disparition.
En 1999, Olivier Decelle découvre le Mas Amiel et acquiert le domaine de 226 hectares, dont 155 ha plantés en vignes. La production est à cette époque essentiellement constituée de Vins Doux Naturels, mais Olivier Decelle est persuadé du potentiel des vins secs.
En 2002 Nicolas Raffi, jeune œnologue fraichement diplômé de l’université de Montpellier, rejoint le domaine. Dès son arrivée, le vignoble adopte les pratiques culturales de l’agriculture biologique et de l’agriculture biodynamique (respectivement certifiées en 2017 et 2020). Sous l’impulsion d’Olivier Decelle la production de vins secs est lancée, avec en ligne de mire la volonté d’obtenir la reconnaissance suprême auprès de l’INAO (l’appellation Maury Sec sera officiellement créée en 2011).
Un terroir unique
Le Mas Amiel se situe dans la vallée de l’Agly. Entouré de deux massifs calcaires, le parcellaire Amiel relève de l’exceptionnel. Majoritairement exposé sud-est, le vignoble est relativement préservé des chaleurs accablantes de l’été. L’axe de la vallée facilite la circulation d’air froid venu des Pyrénées et assure durant la phase végétative un bon état sanitaire. Une situation exceptionnelle donc, qui ne serait pas grand-chose sans le fameux calcoschiste ! C’est une roche métamorphique, spécifique à la vallée de l’Agly, (puisqu’elle disparait non loin de Saint-Paul-de-Fenouillet et Caudiès-de -Fenouillèdes). C’est du schiste, bien entendu, de nature argileuse, qui donne un caractère presque tannique, voire « coupant » en dégustation, mais possédant une grosse fraction de calcaire actif souvent associé à la présence d’acidité et de salinité dans les vins. C’est en tout cas le constat que font les gardiens du temple et que nous partageons volontiers à la dégustation des vins.
Des vinifications éclairées
Levures indigènes et vinifications sans soufre sont pratiquées au domaine, avec un maintien au froid les 5-6 premiers jours le temps que les levains démarrent. S’en suivent les « fermentations » malolactiques, puis l’élevage sur lie, toujours sans sulfite, ce qui favorise l’émergence de parfums plus complexes. L’absence de sulfite jusqu’au mois d’avril limite également la combinaison du SO2 lors d’un premier ajout, ce qui permet au vin une fois en bouteille de garder beaucoup d’éclat et d’énergie. Le principe de base étant qu’une fois le coup de sécateur donné, toute action dégrade le potentiel initial. Pour autant, Nicolas Raffi effectue régulièrement des analyses pour surveiller l’évolution des vins. Ici les pratiques « non-interventionnistes » sont choisies pour rendre le vin meilleur, pas pour satisfaire une pseudo-philosophie d’illuminés. Les vinifications aussi libres soient-elles sont en permanence éclairées par la science.
Des vins à leur apogée
Non pas qu’ils soient prêts à boire, mais plutôt qu’ils aient atteint un certain style, et ce, quelle que soit la gamme. Les Natural d’abord, parce que sans sulfite principalement, sont remarquables de précision et de naturel… Comprenez des équilibres et des textures allant de soi, sans que l’on puisse détecter la patte de l’homme. Ajoutez à cela un fruit gourmand presque « sucré », mais jamais trop mûr, allié à cette saveur schisteuse hésitant entre tanicité et salinité, enfin des parfums brillants, originaux, et vous avez l’un des tout meilleurs rapports qualité prix de France. Vient ensuite une gamme parcellaire, dans laquelle on retrouve notre coup de cœur Altaïr 2023. Grenache gris, Grenache blanc et Maccabeu de 70 ans cultivés sur calcoschistes (encore eux !) et vinifiés en majeure partie en cuve inox, voilà le plus allemand des vins du Roussillon ! Ressemblant à s’y méprendre à un Riesling de la Rheingau, Altaïr a pour lui cet enrobage et cette saveur schisteuse qui lui donne une consistance d’avenir. Enfin, parmi les Grandes Cuvées, l’on retrouve l’Oiseau Rare, une très belle bouteille à dominante Grenache où l’élégance et la finesse l’emportent sur la puissance.
Terminons ce rapide tour d’horizon par les Vins Doux Naturels, qui représentent bon an mal an la moitié de 400 000 cols produits par Mas Amiel. Du Maury blanc Vintage 2022 qui fera merveille à l’apéritif ou en entrée sur un tartare de thon, aux fabuleux oxydatifs M’40, M’80, M’70, en passant par le Vintage rouge 2020, véritable ode au Grenache noir, tout est recommandable et parfaitement exécuté. Si Mas Amiel brille par ses secs, il continue d’exceller dans l’univers des vins fortifiés avec une précision et une salinité presque sans équivalent.
A (re)découvrir
Si vous connaissiez les Vins Doux Naturels du Mas Amiel, vous gagnerez à les redécouvrir plus frais, plus précis et toujours plus salins. Si vous découvrez la gamme des secs, hâtez-vous d’en acheter. À ce prix, difficile de rater l’expérience d’une dégustation qui en dit autant sur les grands vins du Roussillon que les somptueux paysages de la Vallée de l’Agly. Nos notes de dégustation ci-dessous.
Olivier Borneuf
Côtes-du-Roussillon Cuvée Natural 2023
Côtes-du-Roussillon Cuvée Altaïr 2023
Maury-Sec Cuvée Oiseau Rare Millésime 2022
Maury-Sec Cuvée Alt. 433M Millésime 2023
Maury Cuvée MA 40 ans d'âge
Maury Cuvée M’70 Millésime 1970
Maury Cuvée MA'80 Millésime 1980
Maury Cuvée MA'99 Millésime 1999