De l’importance de former des alliances

Je suis né sur une terre de rugby (Toulouse). Très tôt, j’ai appris que l’équipe était plus forte que l’individu. En voyant des gros, des maigres, des petits, des grands, des ingénieurs, des apprentis, des noirs, des blancs, des moldaves, des fidjiens, des gays, des hétéros, des neurotypiques, des atypiques se battre ensemble pour marquer un essai, on apprend vite, il est vrai, à faire des différences un avantage. 
Si je vous parle de diversité, d’équité, d’inclusion et d’accessibilité, c’est parce que je croise souvent dans le vignoble des gens d’origines sociales et ethniques très différentes. Tous ces gens contribuent à faire vivre la filière. Et la façon dont ces gens se retrouvent chaque jour autour d’une table pour boire un verre me rappelle combien cette filière peut être, à l’image d’une équipe de rugby, une organisation sociale remarquablement exemplaire et efficace. 
Je dis bien « peut être » car tout n’est pas parfait, loin de là. La crise est symbole d’opportunité pour les chinois. A l’heure où le vignoble cherche un second souffle pour subsister dans une société fissurée, je pense que la diversité, l’équité, l’inclusion et l’accessibilité sont des valeurs à re-valoriser au sein de notre filière. Je ne suis pas woke, pas plus que je suis membre d’une minorité. Aussi, préfère-je laisser la parole à mon confrère et ami Christian Holthausen pour finir de vous convaincre que l’union fait la force. Bonne lecture.

Olivier Borneuf


De l’importance de former des alliances – aujourd’hui plus que jamais, en particulier dans les industries du vin, des spiritueux et de l’hospitalité – par Christian Holthausen

 

Publié à l'origine sur www.jancisrobinson.com

Ces derniers temps, de nombreuses discussions ont émergé autour de la suppression des initiatives en faveur de la diversité, de l’équité, de l’inclusion et de l’accessibilité (DEIA). À un rythme alarmant, de grandes entreprises du monde entier reviennent sur leurs engagements DEIA, réduisant ou supprimant toute mention de ces principes dans leur communication. En moins de cinq ans, le nombre de grandes entreprises du secteur des boissons qui affichaient un engagement fort en matière de DEIA s’est considérablement réduit. Si certains s’en réjouissent, d’autres – dont moi-même – s’inquiètent profondément pour l’avenir.
Plus que jamais, nous qui travaillons dans les industries du vin, des spiritueux et de l’hospitalité devons reconsidérer les manières dont nous formons des alliances. Il nous faut dépasser nos expériences personnelles pour développer une empathie collective plus profonde. Cela nécessitera peut-être d’engager des discussions difficiles. Peut-être devons-nous revoir les concepts de diversité et d’équité sous un prisme plus inclusif encore ?
L’objectif d’une alliance véritable est d’établir un climat de confiance et de consensus entre les personnes et les organisations partageant des responsabilités et des préoccupations communes au sein d’une communauté – ou, dans le cas des industries du vin, des spiritueux et de l’hospitalité, au sein de plusieurs communautés interconnectées – afin que chacun puisse œuvrer à la réalisation d’un but commun.
Notre objectif collectif doit être de soutenir chaque individu travaillant dans ces industries, pour que chacun ait une chance équitable, mais aussi pour qu’aucune personne ne se sente ignorée ou méprisée. Dans un monde idéal, une marée montante devrait élever chaque bateau, sans exception.
La simple évocation de la DEIA est devenue un sujet de division à l’échelle mondiale. Tant ses défenseurs que ses détracteurs ont été réduits à de simples symboles politiques caricaturaux, un phénomène similaire à celui du port du masque pendant la pandémie récente. Et si nous dépassions ces fausses dichotomies pour réellement nous écouter les uns les autres ? Et si nous trouvions une nouvelle manière d’évoluer, permettant à chacun de se sentir inclus ? En 1959, le Sud-Africain Robert Sobukwe déclarait : « Il n’y a qu’une seule race à laquelle nous appartenons tous, et c’est la race humaine. »
En tant qu’homme blanc, franco-américain, âgé de 50 ans et homosexuel, ayant travaillé dans cette industrie pendant l’essentiel de ma vie adulte, j’ai moi-même vécu des expériences douloureuses et été témoin de situations que la plupart des gens considéreraient comme abjectes.
En 1999, alors que j’étais un jeune assistant marketing à New York, mon supérieur direct m’avait conseillé de ne pas « paraître trop gay » lors d’une présentation commerciale, sous peine d’aliéner un client – alors même que je n’avais jamais évoqué mon orientation sexuelle au travail. Quelques années plus tard, lors d’un dîner à Chicago avec le président d’un grand distributeur et son équipe, chacun partageait des anecdotes sur ses enfants et sa vie familiale. Lorsque mon tour est venu, j’ai simplement mentionné que j’avais un compagnon mais pas d’enfants. Son président m’a alors lancé : « Mec, ne me coupe pas l’appétit ! Vous ne pouvez pas juste faire ce que vous faites sans nous en parler ? »
En 2008, à Moscou, lors d’un dîner organisé par un distributeur local pour le lancement d’une cuvée de prestige, une douzaine d’hommes m’ont invité à les accompagner dans un club de strip-tease. Ayant refusé poliment mais fermement, le propriétaire du distributeur m’a alors interrogé devant tous : « T’es pas une fiotte, au moins ? Parce que je ne fais pas affaire avec les fiottes. » Ce fut l’une des rares fois où j’ai nié qui j’étais, non pas par crainte pour mon emploi, mais par peur pour ma sécurité.
Ces exemples ne sont qu’un aperçu des discriminations persistantes. Une amie latino, talentueuse vendeuse de vin à Houston, tolère les commentaires déplacés d’un client qui achète six palettes de vin par an, car elle doit subvenir aux besoins de sa famille. Chaque femme que j’ai rencontrée dans ce secteur a une histoire similaire d’un client trop entreprenant lors d’un rendez-vous professionnel.
En 2023, alors que je me rendais à une réunion avec un collègue noir en Virginie, la responsable d’une boutique de vin a verrouillé la porte à notre arrivée, avant de la rouvrir en reconnaissant mon collègue sous la lumière : « Oh, bien sûr, je te reconnais, entre donc ! » Puis elle s’est tournée vers moi, un autre blanc, et a ajouté : « Je suis désolée, mais vous savez, il faut être prudent… »
Je suis le stéréotype même de l’intellectuel progressiste honni dans le climat politique actuel. Étudiant à Vassar dans les années 1990, j’ai consacré mon mémoire à la dysphorie de genre. Nous explorions alors les théories postmodernes et poststructuralistes, analysant la fluidité des identités et les rapports de pouvoir. Pourtant, avec du recul, je réalise que nous n’accordions pas assez d’attention aux réalités des classes populaires, notamment des hommes blancs hétérosexuels en difficulté. Nous étions enfermés dans notre tour d’ivoire, jugeant souvent hâtivement ceux qui ne partageaient pas notre perspective.
Dans les industries du vin, des spiritueux et de l’hospitalité, j’ai vu des hommes blancs hétérosexuels souffrir eux aussi – de la précarité, de l’abus de drogues et d’alcool, du burn-out. Très peu de programmes s’intéressent à ces problèmes.
Nous devons revoir notre approche de la DEIA pour embrasser une inclusion véritablement universelle. Cela nécessitera des discussions difficiles, mais c’est la seule voie possible. Si nous nous laissons diviser, nous ne pourrons pas combattre ce qui nous opprime tous. Apprenons à mieux nous écouter et à nous soutenir mutuellement.
Aux dirigeants du secteur, voici pourquoi les initiatives DEIA sont cruciales pour votre activité :
•    Elles apportent des perspectives et des idées nouvelles.
•    Elles élargissent votre clientèle.
•    Elles améliorent la rétention des employés.
•    Elles renforcent votre image de marque.
•    Elles favorisent les collaborations et partenariats.
Les industries du vin, des spiritueux et de l’hospitalité évoluent rapidement. Entre le changement climatique, l’essor du non-alcool et les marchés en difficulté, nous devons trouver ensemble de nouvelles solutions.


Christian Holthausen est un Franco-Américain basé à Paris, travaillant dans la communication du vin depuis 25 ans.

Image de Natalia Vetrova via iStock.