Brève histoire des vignobles de la vallée du Rhône

Au nord, un petit vignoble prestigieux, continental, accroché à des coteaux spectaculaires enserrant le fleuve qui a entaillé le Massif Central ; au sud, une vallée élargie, des vignobles à perte de vue, posés sur de vastes terrasses saturées de soleil en été : les deux parties de la vallée du Rhône n’ont pas grand-chose de commun. Ni les paysages, ni le climat, ni les vins, pas même l’histoire. En dehors de quelques grands noms du négoce qui les unissent depuis peu, leur seul trait d’union c’est le fleuve.

 

Les débuts

« S’il est vrai …que la civilisation a marché de l’Est vers l’Ouest…il n’est pas moins vrai que la ligne presque droite formée par le cours du Rhône et de son grand tributaire, la Saône, a forcé l’histoire à faire un brusque détour vers le Nord » (Élisée Reclus). C’est précisément le chemin parcouru par la vigne (domestiquée ) : née aux confins du Caucase et du Proche-Orient, elle a fait cap vers l’ouest, à Chypre, en Grèce, en Italie, en Provence avant de remonter vers le nord par la vallée du Rhône. Sans faire injure aux Celtes, dans l’esprit d’Élisée Reclus, la « civilisation » s’appelle alors Rome qui avant la Guerre des Gaule avait déjà fait main basse sur la Gaule méridionale, la Narbonnaise dont le territoire s’étend des confins du Languedoc jusqu’aux Alpes. Au 1er siècle av JC, le Rhône - cette « ligne droite » qui met en relation la Méditerranée et l’Europe du nord - est déjà une autoroute commerciale avec ses comptoirs florissants, Arles (le « dépotoir antique » des archéologues tant les tessons d’amphores sont nombreux), Lyon et Vienne, qui animent un commerce aussi lucratif qu’intense. De vin en particulier : « Le naturel cupide de beaucoup de marchands italiens exploite la passion du vin qu’ont les Gaulois…dont ils tirent des bénéfices incroyables » (Diodore de Sicile). Mais dès la fin du règne d’Auguste, c’est la production locale – celle de la Narbonnaise - qui assure les besoins de la Gaule. Dans la vallée du Rhône, l’archéologie a mis à jour des vestiges de vignobles dans le Gard, le Vaucluse ou la Drôme, mais au petit jeu des plus anciennes traces attestées de viticulture, l’Ardèche semble tenir la corde et de loin : dans les environs de l’actuelle Alba-la-Romaine, on a trouvé des pépins, une quinzaine de ceps et surtout des traces organiques de vin rouge dans les céramiques indigènes remontant au 4 è siècle av JC. Les locaux avaient-ils appris des Grecs de Massalia, vignerons émérites qui sillonnaient le Rhône dès cette époque, les secrets de la viticulture ? Possible, en tous cas, l’actuelle IGP Ardèche est en droit de revendiquer le statut de plus vieux vignoble rhodanien !

 

Le picatum, grand cru gaulois

Parmi les productions locales de l’époque (que l‘on peut toujours goûter au Mas des Tourelles qui s’est livré à une expérience épatante de reconstitution archéologique), une seule est passée à la postérité, au moins dans les textes, le picatum, le vin « poissé » des Allobroges. Le territoire de ces peuplades gauloises s’étendait du Dauphiné aux Alpes et on a fait de sa capitale, Vienne, surnommée « la vineuse » par Martial, l’épicentre de la production de ce cru qui excitait les papilles romaines. Exemple abouti d’acclimatation de la vigne à des terroirs non méditerranéens, il provenait, nous dit Pline l’Ancien, d’un raisin noir, productif et résistant au froid « au goût naturel de poix ». D’aucuns ont fait de cet allobrogica l’ancêtre de la syrah et pour Roger Dion « il n’est pas concevable que ces maîtres viticulteurs aient laissé inemployées les heureuses dispositions naturelles des sites de l’Hermitage et Côte-Rôtie ». Possible sauf que l’archéologie est parfois rabat-joie : sur ces sites, tout comme dans les environs de Vienne, aucun vestige d’exploitation viticole, pas la moindre serpette ni toponyme, mais des amphores contenant de l’huile d’olive…  D’où la tentation chez certains de faire du picatum un cru non dauphinois, mais savoyard et de l’allobrogica l’ascendant de la mondeuse noire, parent de la syrah. On reste tout de même en famille ! L’archéobotanique résoudra peut-être un jour cette épineuse question.

 

Paysage Lirac

La fête est finie

Toujours est-il que le vignoble antique de la vallée du Rhône va pâtir des grands désordres qui suivent la fin de l’Empire au V è siècle. Fini le raffinement romain, bienvenu aux barbares et au retour des âges obscurs. Pour le vignoble, c’est la fin des vaches grasses : pendant quelques siècles les vignobles subsistent essentiellement par petites poches autour des évêchés et des monastères ou abbayes. Plus contrariant, la « civilisation » bascule progressivement, mais durablement du monde méditerranéen vers le nord et le Rhône perd sa position d’axe stratégique. Alors que de grands vignobles commerciaux renaissent à partir du XII è siècle en Île-de-France, en Bourgogne, à La Rochelle ou dans le Bordelais, la vallée du Rhône reste à l’écart du renouveau et doit se contenter d’autoconsommation et de marchés locaux. Les grands foyers de consommation du Moyen Âge sont désormais l’Angleterre, la Flandre, les villes du nord dont Paris, tous trop éloignées. Inaccessibles par la Méditerranée (il faudrait passer par Gibraltar), ces marchés ne le sont pas plus par le nord : la Bourgogne fait obstacle aux vins concurrents « d’en bas », tout comme Lyon qui, loin d’être un exutoire pour les vins de la vallée, privilégie sa propre production. Rejoindre l’Atlantique par Bordeaux n’avait pas plus de sens, en tous cas avant le percement du Canal du Midi, et ici aussi les bourgeois bordelais veillent à bloquer l’accès de leur port à tous les vins d’amont. Du coup par la moindre citation d’un cru du Rhône dans La Bataille des Vins, célèbre poème de 1214 qui recense et commente quelques 120 vins du pays. En attendant le désenclavement et la révolution des transports au XIX è siècle, deux solutions : bénéficier d’un marché local attractif ou forcer le passage, en se frayant une nouvelle route commerciale. L’occasion pour nos deux moitiés de la vallée de nouer des destins différents.  

Au sud, de la présence des papes…

Au Moyen Âge, on ne peut pas faire beaucoup mieux que la présence d’un pape pour stimuler la production locale. Or, ils s’installent pour un siècle à Avignon, de 1309 à 1378, et font du Comtat Venaissin un état pontifical (il le restera jusqu’à la Révolution) avec Carpentras pour capitale.  À lire les historiens, les papes ne raffolent pas des crus locaux, ils leur préfèrent le saint-pourçain, les vins de Beaune ou d’Arbois, mais la cour, les pèlerins, badauds et commerçants qui affluent à Avignon, Carpentras, Arles ou Roquemaure sont moins regardants. Cette nouvelle clientèle dynamise la production et la consommation. À Carpentras plus de 80% des foyers possèdent du vin en quantité,  c’est-à-dire plusieurs hectolitres ! Une autre commune bénéficie de l’essor : Châteauneuf Calcernier (rebaptisé Châteauneuf du Pape en 1893) située sur la grande route qui mène à Avignon, dopée plus que les autres par la présence des papes qui s’y installent par intermittence et font édifier le château en 1317. En 1344, 85% des propriétaires de la commune possèdent des vignes et on recense 38 caves dont une poignée commercialise leur production. Pour l’heure, la cité tire surtout sa prospérité de la chaux, de la pierre et de la brique moins de son vignoble. Pour cela il faudra attendre quelques siècles et l’entrée en scène d’une famille de notables, les Tulle de Villefranche.

… aux foires de Beaucaire

Avec le départ des papes, les ravages de la Grande Peste de 1348 et des guerres de religion c’est le retour des vaches maigres, jusqu’à une nouvelle embellie : celle des foires de Beaucaire qui remettent la région dans la course commerciale. Beaucaire sur le Rhône, au point de contact des navigations fluviale et maritime, devient pendant quelques siècles une plaque tournante commerciale incontournable (elle en garde de beaux restes) qui draine des marchands de partout, italiens, espagnols, suisses, allemands ou hollandais. Les vins des environs, ceux de la rive droite gardoise, n’ont pu que tirer profit de cette nouvelle exposition. Certains, tels Chusclan et Laudun, s’étaient déjà taillés une jolie réputation au point d’être offerts à Louis XIII, de passage dans la région en 1639. C’est précisément au XVIII è siècle, lorsque les foires atteignent leur apogée, que naît que la première dénomination « côte du Rhône » au singulier car il s’agit exclusivement de vignobles gardois. En 1737, huit communes de la viguerie d’Uzès (dont Tavel, Lirac et Laudun) obtiennent du roi un arrêt très détaillé défendant les vins de « la Côte du Rhône » : délimitation du vignoble, apposition de la marque C de R, registre d’entrée et sortie des vins, authenticité du millésime, contenance des récipients… Ces vins, exportés depuis Roquemaure, décrits en 1752 comme « les plus recherchés et les plus chers » de la région atteignent Paris, l’Angleterre et la Hollande à la même époque. Cette appellation d’origine avant la lettre consacre pour l’heure la suprématie des vignobles du Gard sur ceux du Vaucluse qui resteront propriété du Comtat Venaissin jusqu’en 1791. Une exception cependant, Châteauneuf, qui échappe à la fiscalité du Comtat et dont les vins font une percée remarquée dès cette époque.

Paysage Gigondas

Au nord, de l’appel de Paris…

Pour les vignobles du nord, réduits aux débouchés locaux et barrés par les péages lyonnais et bourguignon, le long silence radio s’interrompt au XVII è siècle.  En 1668, le voyageur anglais Martin Lister note avoir goûté à Paris des vins blancs de Condrieu, un Coste Brulée (Côte-Rôtie) « de très bon goût », ainsi qu’un hermitage rouge. À la même époque Boileau dans le Repas Ridicule évoque les vins de l’Hermitage, le médecin Guy Patin, ceux de Condrieu et Louis XIV offre à son homologue britannique quelques « très bons vins » dont des hermitages. On retrouve, un peu plus tard, des côte-rôtie en bonne place dans les caves du duc d’Orléans. Cette première percée a deux raisons. D’abord l’ouverture d’une route commerciale vers le nord qui évite Lyon et Dijon. Depuis Condrieu, elle traverse le Massif Central et rejoint la Loire qui devient navigable à Saint-Rambert à partir de 1725. Et puis sans doute « les heureuses dispositions naturelles » de ces vignobles de coteaux qui donnent des vins concentrés capables de se conserver, notamment rouges, et de se vendre avec un bénéfice valant ce long et couteux périple. Notons aussi un autre accès vers l’Angleterre par Bordeaux grâce au Canal du Midi inauguré en 1681 : un dénommé Sieur Mure emprunte cette voie dans les années 1700 avec ses vins de l’Hermitage.  Elle aura au siècle suivant une conséquence singulière : le captage des vins de Tain par le négoce bordelais qui s’en servira au XIX è siècle pour hermitager ses petits millésimes.  

 

…au premier âge d’or

L’édit de 1776 instituant la libre circulation des vins puis le développement du chemin de fer accélèrent le désenclavement du Rhône nord et l’ascension entamée précédemment se confirme au XIX è siècle. On en sait beaucoup plus sur les vignobles locaux et le portrait qu’en dessinent les contemporains est d’une étonnante actualité. La syrah, ou serine, mentionnée pour la première fois en 1781[1] règne déjà sans partage à une époque où la complantation est la règle dans la plupart des autres vignobles. En blanc, les viognier, roussanne et marsanne forment un trio très actuel. Quant à la hiérarchie des crus, elle est précisément celle que l’on connait aujourd’hui. Tout en haut trône l’Hermitage devenu en un siècle le cru « le plus célèbre des bords du Rhône[2] », dont « les vins sont aussi estimés que les premiers crus du Bordelais et de la haute Bourgogne [3]». Son parcellaire n’a pas de secret pour les contemporains et les meilleurs « quartiers »  (Bessas, Méal, Greffieux…) sont disséqués et hiérarchisés. Les vins bénéficient de soins haut de gamme : raisins vendangés « parfaitement mûrs », égrappage, longue macération, élevage en « tonneaux neufs, de bois de chêne » puis « mise en bouteille à l’âge de quatre ans [4]». Ils se conservent « plus de vingt ans sans altération [5]», bien plus selon M.A Puvis qui dit avoir goûté un hermitage centenaire en pleine forme lors de sa tournée des caves en 1848. Outre ses rouges, le plus célèbre des coteaux rhodaniens produit aussi des blancs secs « de réputation universelle[6] », ainsi qu’un ermitage-paille, « véritable sirop 3», « réservé aux tables les plus opulentes...et fort apprécié en Pologne et en Russie 4 ». Les autres crus de la région, tous issus de la syrah, ne sont pas en reste : les meilleurs vins de la Côte-Rôtie, provenant de terroirs déjà bien identifiés (Brune, Blonde, La Turque…), valent les grands bourgognes, devant ceux du coteau de Saint-Joseph (6 ha seulement à l’époque), de Cornas déjà réputé pour donner un vin « corsé » ou de Crozes dont les vins « ne diffèrent de ceux de l’Hermitage qu’en ce qu’ils ont moins de finesse et de moelle 2 ». Quant à Saint-Peray, rebaptisé Peray-Vin blanc à la Révolution, elle est spécialisée dans les vins blancs tranquilles et effervescents et le condrieu, moelleux à l’époque, s’arrache à prix d’or.

 

L’ascension de Châteauneuf

Le sud de la vallée détient aussi au XIX è siècle son grand vin. Mais avant d’être la consécration d’un terroir et d’une communauté de vignerons, le succès de Châteauneuf est d’abord celui d’une famille de notables, marchands, banquiers ou professeurs d’université, les Tulle de Villefranche. Ils acquièrent en 1560 sur la commune une propriété baptisée plus tard La Nerthe, déjà plantée en vignes. Anoblie et d’une ascension fulgurante, elle comptera dans ses rangs, des évêques, des maréchaux, des parlementaires, des conseillers du roi et un pair de France, bref du gratin. Elle compte aussi une série de marquis avisés, excellents commerciaux, qui vont faire de leurs vins un instrument au service de leur prestige, comme il se doit à l’époque où le « grand vin » sert de miroir à celui qui le produit comme à celui qui le boit. On en connait le parcours grâce à un riche fond d’archives minutieusement exploité par Jean-Claude Portes[7][i]. D’abord réservés à la table des marquis, et à ce titre bien au-dessus de la moyenne, servis « très vieux et d’une excellente qualité 4 », les vins de la Nerthe sont commercialisés dès les années 1730 auprès du réseau de la famille, amis, hôtes, relations haut placées qui, à leur tour, le font connaître, jusqu’aux États-Unis. Sur 429 clients recensés dans les années 1770, 286 sont des nobles, souvent de hauts rangs, de France et d’ailleurs. Inutile de dire que ce réseau est aussi très rentable : de 30 livres le tonneau en 1730, le vin de la Nerthe passe à 178 en 1770, soit quatre fois le prix des autres vins de la commune. Ce qui était un moyen de rayonner devient donc aussi une excellente affaire commerciale. Les volumes manquant, les Tulle complètent leur gamme avec les meilleurs « vins de paysans » de la commune vendus comme « vin du pape » et bientôt « châteauneuf du pape » qui se fait un nom. Dans le sillage de La Nerthe, d’autres domaines émergent dont Condorcet, Fortia ou Vaudieu. Les auteurs du XIX è sont prolifiques sur ces vins « délicats, fins, pourvus d’un joli bouquet » « quoique chauds [8]», de bonne garde, issus d’un assemblage de cépages. Aux côtés des variétés traditionnelles (picpoule, clairette, picardan, terret noir..), le grenache, venu d’Espagne « il n'y a guère plus de soixante ans [9]» (donc fin XVIII è) et le tinto (mourvèdre) font une percée remarquée, aux côtés de la syrah implantée au domaine de Condorcet dès les années 1840, « avec un plein succès ». En un siècle et demi, Châteauneuf a creusé l’écart avec le reste de la région. Exception faite de quelques communes gardoises de la Côte du Rhône, Tavel en particulier, les autres vignobles pâtissent de l’absence de tradition commerciale. Le Vaucluse, longtemps empêtré dans le conservatisme et la fiscalité du Comtat, devient le terrain de chasse des négociants bourguignons qui descendent le Rhône pour s’approvisionner en rouges colorés capables de rehausser leurs vins.  

 

Le Rhône aujourd’hui

Pour le nord, on pourrait s’en tenir au portrait précédent tant le vignoble actuel lui ressemble. Mais ce serait faire l’impasse sur une renaissance spectaculaire. L’âge d’or du XIX è siècle s’interrompt brutalement avec le phylloxéra qui ouvre une longue période de crises. Entre Vienne et Valence s’ajoutent aux malheurs des temps (les guerres entrecoupées de la crise de 1929), une urbanisation galopante qui grignote les vignobles et la concurrence féroce des vergers. Dans les années 1960, il ne reste pas grand-chose ni de la réputation des vins ni des vignobles, une poignée d’hectares par exemple à Condrieu et Côte-Rôtie. À quoi bon s’échiner à se tuer au travail sur ces pentes parfois infernales pour vendre une bouteille au prix du kilo d’abricot ? Inconscients ou visionnaires, en tous cas mus par le souvenir des grands vins locaux, c’est pourtant ce que quelques pionniers vont entreprendre, tels Marcel Guigal ou Georges Vernay. Replanter parcelle par parcelle, remonter les murets puis faire connaitre les vins auprès des restaurateurs locaux, étoilés si possible. Le fil était renoué, un cercle vertueux s’est mis en place, incitant d’autres à les imiter, sur les meilleurs coteaux, de Vienne à Valence. Devenus furieusement à la mode dans les années 1990, la syrah et le viognier locaux font un tabac dans le monde : on s’arrache la petite production (quelques milliers d’hectares seulement) et les prix grimpent en flèche, en particulier depuis 15 ans. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les vins à moins de 20 euros sont devenus perles rares, mais ils existent (nous sommes là pour ça !) dans les AOC les plus accessibles (Côtes du Rhône, Crozes-Hermitage, Saint-Joseph) ou dans les IGP.

 

Le sud, par contre, est devenu un terrain de chasse inépuisable pour l’amateur en quête de bons voire d’excellents rapports qualité-prix. L’échelle n’est pas la même (plus de 60 000 ha), les contraintes de production non plus. La région n’a pas échappé au phylloxéra, mais la reconstruction a été bien plus rapide, avec ses avatars : la tentation des cépages médiocres, la course aux volumes et la fraude. Le Vaucluse peut se targuer d’avoir montré l’exemple au pays en étant à l’origine de la création des AOC grâce au Baron Le Roy, juriste et vigneron au château Fortia à Châteauneuf-du-Pape. Mais dans le sud, le fait marquant est la frénésie de plantations à partir des années 50 en lieu et place des friches et des cultures devenues peu rentables (céréales, oliviers…). La production suit et quintuple en 30 ans, entre 1955 et 1985, portée par une demande de plus en plus tournée vers des vins de qualité. La région a son best-seller, le Côtes-du-Rhône (devenu AOC régionale en 1936), populaire et accessible, et son AOC huppée, Châteauneuf, qui reçut les bonnes grâces de Robert Parker en son temps. Mais entre les deux, on a appris à apprécier les mérites d’autres vins du Vaucluse comme Gigondas qui se taille une belle réputation dans les années 1990, et les meilleurs côtes-du-rhône villages promus crus tels Rasteau, Vacqueyras, Beaume de Venise ou Cairanne. Ici, contrairement au nord où la hiérarchie semble inamovible, l’ascenseur social fonctionne. De nouveaux CDR villages sont créés, des crus tombés dans l’oubli (Lirac) ressuscitent et des vins fins naissent dans des appellations sans gloire il y a peu (Ventoux, Costières de Nîmes…) ou en marge des AOC, dans les multiples IGP de la région. Le Rhône sud reste un vignoble étonnamment dynamique malgré ses 2500 ans !

 

Sébastien Durand-Viel

 

[1] Barthélemy Faujas de Saint-Fond, Histoire naturelle de la province de Dauphiné, 1781

[2] M. A Puvis, De la Culture de la Vigne, et de la Fabrication du Vin, 1848

[3] A. Jullien, Topographie de tous les vignobles connus, 1866

[4] V. Rendu, Ampélographie Française, 1857

[5] J. Guyot, Étude des Vignobles de France, 1868

[6] M. Cavoleau, Œnologie Française, 1827

[7] Jean-Claude Portes, Châteauneuf-du-Pape, première AOC de France, 2016

[8] A. Jullien, Topographie de tous les vignobles connus, 1866

[9] Comte Odart, Ampélographie ou Traité des Cépages les plus estimés, 1845