Beaujolais - Itinéraires de vinification

Les investisseurs sont unanimes, qu’ils soient bordelais, bourguignons, industriels ou amateurs reconvertis, beaucoup choisissent d’investir, parfois lourdement, en terres beaujolaises. Il est vrai que la région retrouve depuis quelques années la confiance des professionnels et des amateurs. Mais cet engouement retrouvé ne suffit pas à lui seul à expliquer ces investissements massifs et diversifiés. Il y a bien en Beaujolais « autre chose » qui attire : un cépage totem, le gamay, une géologie singulière et une créativité vigneronne qui pare les vins du Beaujolais de reflets organoleptiques inattendus. Dans un monde en recherche perpétuelle de particularismes, voilà peut-être une réponse plus probante au succès retrouvé de la région.

Le gamay, cépage quasi endémique, s’imprègne volontiers de son origine, si l’on veut bien contenir sa vigueur. Un granite, dur, altéré (altérite) ou détritique (gore), des pierres bleues ou des alluvions anciens auxquels s’ajoutent quelques particularités sectorielles constituent un substrat de choix pour des vins fruités et friands ou plus structurés et tanniques. Mais ces combinaisons multiples entre un cépage et un lieu, qui fait une des forces du Beaujolais, sont insuffisantes pour apprécier pleinement l’extraordinaire diversité des vins du Beaujolais. Pour cela, il faut aller un peu plus loin, quitter les vignobles pour descendre dans la cave. Les modes d’élaboration et d’élevage, leurs combinaisons, offrent aux vignerons du Beaujolais un champ des possibles d’une rare complexité. Si la plupart des vinifications se passent en cuves béton, quatre types se distinguent, dont les frontières poreuses donnent libre cours à l’imagination vigneronne.

Une méthode qui divise

 

La méthode la plus utilisée en volume de vin produit, et la plus controversée, est la thermovinification. Cela consiste à chauffer la vendange autour de 70°C pendant 30 à 40 minutes. Suit un pressurage puis une macération en phase liquide avec ajout d’enzymes et de levures ; celles initialement présentes ayant été détruites par les fortes températures. Cette pratique permet d’extraire facilement des polyphénols, de la couleur et du fruit sur des gros volumes de vendange pour donner des vins faciles, communs, sans vice ni grande vertu qui n’aident pas toujours l’image du Beaujolais. Cela étant dit, employée avec discernement, elle est très utile pour sauver des vendanges touchées par la pourriture, en permettant la destruction de la laccase du botrytis tout en limitant l’oxydation et les goûts champignonneux ou moisi-terreux. Son usage est donc plus affaire de proportion et de circonstance que de prises de position fermes et définitives.

cuves

Une classique venue d’ailleurs

La vinification en vendange égrappée, autrefois marginale malgré son importance dans les autres zones viticoles, est en nette progression. A l’éraflage et au foulage succède ici une macération en cuve ouverte plus ou moins longue en fonction de la matière recherchée. Les pratiques du pigeage, du remontage avec aspersion ou encore du délestage sont courantes, avec des fermentations concomitantes. Après égouttage puis pressurage des parties solides, on peut procéder à un assemblage en proportion variable des jus de goutte et de presse suivant le besoin, avant mise en élevage. Cette méthode permet d’éviter des goûts herbacés qui pourraient provenir de rafles vertes ou altérées.

Connues et pourtant si mal comprises

Deux autres vinifications, très répandues en Beaujolais, reposent, elles, sur une approche spécifique de vendanges en grappes entières.

La macération dite semi-carbonique, vinification historique et traditionnelle en Beaujolais, est un processus complexe. Les grappes sont récoltées avec précaution puis encuvés avec le minimum d’altération possible dans des cuves, le plus souvent en béton, remplies environ aux deux tiers. Trois strates distinctes se forment sur l’ensemble du volume, possédant chacune une dynamique propre. En partie basse, où s’accumulent les jus issus de l’écrasement des baies, s’enclenche une fermentation levurienne classique. Le dégagement naturel de gaz carbonique qui en résulte, plus lourd que l’air, envahit alors la cuve et reste facilement piégé. Dans la partie haute au contraire, les baies toujours intactes se retrouvent saturées dans par cette atmosphère en anaérobiose. Sans aucun contact avec l’oxygène s’amorce, à l’intérieur des grains, une fermentation intracellulaire d’ordre enzymatique. En partie médiane, ces particularités se rejoignent pour donner un phénomène double de fermentation à la fois liquide et osmotique. Suivant le vin, le profil et la structure recherchée, il est possible d’adapter la hauteur - ou proportion - de jus dans la cuve, la  durée de macération, la température et la fréquence d’éventuels remontages, pigeages ou délestages. Chaque opération est menée avec un maximum de précaution, pour respecter au mieux le raisin et le maintien d’une part de gaz carbonique. A l’issue de cette étape la cuve est égouttée. Le marc, très important ici, est pressé puis les jus sont assemblés pour la fin des fermentations et l’élevage.                             

La macération carbonique, enfin, a été impulsée par Jules Chauvet dans le Beaujolais. Initiateur d’une démarche employant peu ou pas de sulfite et de recherches sur les propriétés aromatiques du vin, il insuffla avant l’heure une tendance « nature », dans la droite ligne de ces travaux sur les levures indigènes. Pour une véritable macération carbonique, Il convient de vendanger des grappes entières, intactes, et de les disposer avec soin dans des cuves fermées hermétiquement, inertées avec du gaz carbonique. Ce principe repose sur une préservation aussi prolongée que possible de l’intégrité des grains en milieu anaérobie c'est-à-dire saturé en gaz carbonique, afin d’induire la fermentation intracellulaire recherchée. L’inévitable libération de jus lors de l’éclatement des grains, écrasés sous l’effet du poids, est contrôlée soit par un assèchement de la cuve grâce à un égouttage régulier, assorti d’une rectification en gaz carbonique, soit par un retour au schéma précédent, avec l’apparition des trois strates de fermentation. Après une macération d’une durée variable, la cuve est égouttée et le marc pressé. On assemble alors pour la fin des fermentations, ici levurienne, puis on élève. Il existe de nombreuses adaptations de ces deux méthodes théoriques, et plusieurs variables, dont des égrappages partiels. Aussi, ne considérons plus « carbonique » comme un gros mot, caché sous l’expression « grappes entières ».  De nombreux domaines parmi les plus emblématiques du Beaujolais – et d’ailleurs - sont produits ainsi et de belles surprises attendent les amateurs les plus curieux.

Chai à barriques

Et après ?

Quelques mots, au bout de notre parcours, sur l’élevage. Dans la tradition beaujolaise, les cuves béton parallélépipédiques, intéressantes pour leur inertie thermique, côtoient les foudres bois. Récemment est apparu une multitude de contenant aux matériaux très variées. Les barriques neuves ou usagées en chêne, indissociables d’une certaine image du vin sont de plus en plus employées pour leurs propriétés de micro-oxygénation et leurs apports aromatiques. En parallèle se développent des cuves béton en forme d’œuf ou tronconique induisant des dynamiques particulières, des jarres en terre cuite ou en grés jouant de leur porosité et de leur forme et, depuis peu des cuves en verre, neutres et préservant de l’oxygène. Les possibilités offertes au vigneron, enrichies par cette diversité, achèvent d’étendre la gamme immense des libertés autour d’un seul et même dénominateur commun.  Certains défendent l’élevage en barriques, en béton, en foudres, ou choisissent de varier les contenants au service de cuvées spéciales ou d’essais ponctuels, comme autant d’apports complémentaires. Dans un chai peuvent ainsi cohabiter des vins vinifiés et élevés très différemment, réunis parfois dans un même assemblage. Au cœur d’un vignoble en pleine mutation, des vignerons passionnés façonnent, avec sensibilité au travers des spécificités de leur terroir, un style personnel qui exprime toute la singularité, la diversité et la richesse du Beaujolais. Une région forte de son histoire, plus que jamais riche de sa réinvention, déploie désormais tout son savoir-faire technique pour le plus grand plaisir des amateurs !

Gilles Martin

 

Jarre grès

Crédit photos : Aurélien Aumond