Un champion… Et un concours qui nous dit des choses

Le concours du meilleur sommelier du monde 2023 c’était le 12 février dernier à Paris. Vous savez certainement déjà que le grand gagnant n’est pas Pascaline Lepeltier, notre frenchie qui jouait à domicile, ni Nina Jensen, la candidate danoise 2e de l’édition 2019, qui représentait l’autre chance féminine dans un concours remporté jusqu’à présent exclusivement par des hommes. C’est le letton Raimonds Tomsons qui a remporté la finale avec brio et s’est emparé du titre tant convoité de meilleur sommelier du monde 2023 (lui aussi avait été finaliste en 2019).

Si on vous (re)parle de cet événement c’est parce qu’il a le mérite de nourrir certaines interrogations qui préoccupent l’industrie du vin. Les dégustations, les épreuves et les mondanités autour du concours sont des sources riches d’enseignement sur la place et le rôle du vin dans l’univers de la sommellerie internationale et par voie de conséquence dans l’univers du consommateur final. Voici les moments qui méritent, selon nous, d’être revus après quelques jours de décantation.

Les “low or no alcohol wines”

Lors de la présentation des boissons dégustées depuis les quarts de finale, Andreas Larsson, meilleur sommelier du monde 2007, a dévoilé ceux de l’épreuve “low or no alcohol beverages” ou « boissons avec peu ou pas d’alcool » vous avez bien lu :

  • Water kefir
  • Kombucha
  • Tepache
  • Geisha Coffee Finca Deborah, Panama (Chemex, Cold)
  • Amazake

Cela peut surprendre le néophyte, mais le sommelier n’est pas un spécialiste du vin. Il est un spécialiste des boissons, y compris le vin. Les épreuves qui ont suivi comportaient d’ailleurs des spiritueux, des cocktails et des vins fortifiés. En revanche, ce qui nous a surpris c’est la place importante que les organisateurs ont accordé à cette épreuve compte tenu de sa nouveauté. Andreas Larsson a rappelé d’ailleurs que cette épreuve difficile n’existait pas en 2007, mais qu’elle avait désormais toute sa place dans le champ de compétences du sommelier. Que faut-il comprendre ? Que l’alcool, pour ne pas dire le vin, n’est plus la boisson imposée de la haute gastronomie ? Oui a priori. Malgré sa majorité statistique (17 sur 30 boissons avec le Jerez) à partir des quarts de finale, le vin cède du terrain à des alternatives peu ou pas alcoolisées qui s’imposent sur de nouveaux accords comme la nourriture végan avec laquelle les candidats devaient réaliser des associations. Difficile d’évaluer le poids que prendra cette nouvelle catégorie à l’avenir, mais toujours est-il qu’elle existe parce qu’il y a une demande, une demande grandissante.

 

Le vin à défaut

Durant l’épreuve de service en restaurant (une scène reproduisait une salle de restaurant), où les candidats doivent gérer des situations réelles, des questions leur sont posées pour casser le rythme et ajouter une difficulté supplémentaire. Parmi elles, la dégustation d’un vin apporté par un client avec pour seule indication : “we need your advise as an expert, we are going to have a corporate diner here in France with our partner who is not with us tonight so you can speak freely… Could you please give your opinion on the quality of his wine.” (nous avons besoin de votre avis d'expert, nous allons avoir un dîner d'entreprise ici en France avec notre partenaire qui n'est pas avec nous ce soir donc vous pouvez parler librement... Pourriez-vous s'il vous plaît donner votre avis sur la qualité de son vin.). Les trois finalistes ont décrit le vin positivement en se risquant sur une origine… Aucun d’entre eux n’a cependant repéré le défaut qu’il fallait pourtant identifier pour remporter l’épreuve : 1,2g/L d’acidité volatile soit au-delà de la norme marchande pour un vin, ici rouge tranquille.

À l’issue de la finale, un apéritif suivi d’un dîner a prolongé la soirée. Les critiques étaient nombreuses. Comment avaient-ils pu ne pas sentir cette volatile ? À vrai dire, l’analyse est, nous semble-t-il, un peu plus complexe. Si l’objectif de l’épreuve a bien été confirmé par les autorités en présence (trouver la volatile et décrire le vin comme déviant) les réactions des candidats doivent être contextualisées. Premier contexte : la finale et le stress qui va avec, qui vous prive du détachement indispensable pour imaginer cette éventualité, celle d’un vin non marchand. C’est la finale, l’épreuve est chronométrée, mais sans chronomètre, les candidats foncent et déroulent une dégustation stéréotypée pour gagner du temps et reprendre le contrôle du service qu’ils ont dû abandonner. Mais le stress n’efface pas la volatile et à 1,2g/L la volatile ça se sent bien, même très bien, d’autant que la consigne était explicite : « our partner is not here, you can speak freely. » Alors deuxième contexte, celui de la « nouvelle » sommellerie. Force est de constater que les cartes des grands restaurants ont de plus en plus souvent leur lot de vins « déviants » ou « vivants » selon l’obédience. Cette « nouvelle » sommellerie n’hésite pas en effet à présenter sur la carte de leur restaurant des vins dont la volatile flirte régulièrement avec le gramme, parmi d’autres déviances parfois plus problématiques. Alors, les candidats ont-ils considéré que le vin appartenait à cette « nouvelle » sommellerie, à laquelle peut-être ils adhèrent eux-mêmes ? Peut-être, peut-être pas. Toujours est-il que cette épreuve laisse un goût amer sur un sujet brûlant…

 

Les vins du dîner de clôture

Nous avons été gâtés c’est le moins que l’on puisse dire. Un bon millier de personnes était convié à partager un repas de gala servi par l’irréprochable Potel & Chabot. Les vins étaient tout aussi remarquables. Parmi d’autres bordeaux scintillants, Château Lynch Bages 2005 et Château La Tour Blanche 2009 ont marqué notre table et ravivé l’incompréhension autour du Bordeaux bashing en France. Un autre vin, d’une autre région, a marqué notre table, mais aussi celle de nos voisins : le vin du Beaujolais, un saint-amour, dont la teneur en phénols volatiles ne pouvait laisser place au doute. Après l’épreuve de la volatile en finale, nous voilà de nouveau confrontés au problème, mais cette fois par l’entremise des brettanomyces ! Notre première réaction (entendez une table de 10 personnes plus celles de nos voisins) a été de savoir si le choix de cette bouteille était intentionnel ou pas. En effet, si l’échantillon dégusté avant le service était relativement franc (les variations entre bouteilles pouvant être conséquentes sur ce sujet) on peut presque admettre une telle situation. En revanche, si l’échantillon était identique à ceux servis lors du dîner, quelle image a-t-on voulu donner de la région ? Tous les autres vins servis ce soir-là étaient d’une grande franchise. Pourquoi seul le vin du Beaujolais était estampillé d’une note animale et volatile ? Est-ce là l’étalon référence qu’ont les sommeliers du Beaujolais ? Cela est d’autant plus étonnant que quelques jours auparavant, durant les phases éliminatoires du concours, des beaujolais superbes étaient en dégustation libre. Ces questions resteront sûrement sans réponse, mais elles donnent du grain à moudre à toute une génération de jeunes sommeliers qui voient dans cette déviance une caractéristique régionale, à tort.

 

Un beau concours

Terminons sur une note sympathique en remerciant chaleureusement L’Union de la Sommellerie Française qui, sous l’impulsion de son président Philippe Faure-Brac, a travaillé sans relâche pendant 3 années pour que cet événement ait lieu à Paris. C’était réussi et cela a certainement nourri des vocations.

À l’heure de la diversification des métiers, le sommelier est tenté d’élargir ses services. N’a-t-on pas vu au moins une fois le nom de sommelier-conseil, de sommelier-consultant ou même, plus hasardeux, de sommelier-caviste en lieu et place du suffisant sommelier ? Alors quand les finalistes sont évalués sur leur capacité à gérer une salle de restaurant, à servir avec élégance les apéritifs, les vins et les digestifs, à construire des accords mets-vins toujours plus raffinés, on est rassuré et on se dit que l’essence de la sommellerie est préservée.